Armes lourdes, plumes légères
« Bien et mal coulent de même source, disait Rousseau. Il est frappant de constater que les plus grandes civilisations de l’histoire humaine, celles auxquelles nous devons les créations littéraires, artistiques et philosophiques les plus abouties, sont également les plus performantes en matière de conquête, d’esclavage, de prouesse guerrière et de destruction de l’écosystème.
Mais ce n’est pas parce que la littérature ne sauvera pas le monde qu’il ne vaille pas la peine de s’engager. Il ne faut pas se leurrer. En tant que citoyen·nes, électeur·ices, manifestant·es, protestataires, nous pouvons participer à des mouvements et effectuer des gestes pour atténuer les injustices ; en tant qu’écrivain·es, aussi clinquante que soit notre notoriété, notre efficacité politique est le plus souvent nulle. Cette impuissance fait partie elle aussi de notre condition d’« humains, trop humains ». Nous devons regarder cette vérité en face et l’assumer…
Sans quoi, écrivant l’histoire de ce début du troisième millénaire dans quelques petits siècles (à supposer qu’il reste encore, alors, des humains sur Terre), nous risquons de constater que, venu remplacer la religion auprès des classes éduquées en Occident, le roman n’aura été en fin de compte que… l’opium de l’élite. »
Nancy Huston
